Étude de l’impact de la flexibilité par le stockage sur le prix spot français
Résumé de l’étude
L’installation de BESS va avoir des impacts positifs sur l’équilibre offre-demande de l'électricité en France. Si la France avait eu 6 GW de batteries 2h en 2024 :
Les prix négatifs auraient eu 206 occurrences versus 359 observées.
Le prix moyen pondéré de l’énergie sur les heures solaires aurait été de 56,1 €/MWh versus 45,9 €/MWh observé.
Le coût des aides économiques pour la filière solaire de la part de l'État aurait baissé de 250 millions selon nos hypothèses.
Introduction
“Les occurrences de prix négatifs ont doublé sur le marché spot français”, écrivait RTE au sujet des heures négatives, dans le Bilan électrique 2024. En effet, le nombre d’occurrences des prix négatifs en France est en augmentation depuis les années 2010. En 2024, on a observé plus de 350 prix négatifs en France, contre 150 en 2023. Cette tendance est également visible dans d'autres pays européens comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-bas.
Avec le déploiement des moyens de production éoliens et photovoltaïques (PV), et si la demande ne vient pas rencontrer l’offre excédentaire, la tendance et ses effets dommageables sont voués à perdurer. Le système électrique français a besoin de flexibilité.
Dans cet article, nous illustrons la nécessité d’un développement des solutions de stockage conjointement au déploiement des moyens de production renouvelable pour la maîtrise des occurrences des prix négatifs en France.
Définition du prix spot
Le prix spot, ou day-ahead, est défini par la rencontre des courbes d’offre et de demande à l’échelle d’une zone géographique d’enchères. Par exemple, en France, chaque producteur (respectivement chaque consommateur) fait parvenir ses enchères à la vente (respectivement à l’achat) sur la place de marché. Le prix est fixé selon le principe du pay-as-clear, c'est-à-dire par la quantité d’énergie la plus chère qui trouve acquéreur.
Prenons par exemple les courbes agrégées du 10 janvier 2024 à 8h. La rencontre de l’offre et de la demande fixe le prix spot à 119.26 €/MWh (source EPEX).
Lors de phases de production PV et/ou éolienne, cette énergie est proposée sur les marchés à prix nul ou à tout prix. Elle sera par la suite valorisée au prix spot. Lorsque la demande est faible, une offre agressive à tout prix peut forcer d’autres producteurs à valoriser leur électricité à un prix négatif par peur de ne pas être appelé par le marché. En effet, il est parfois plus coûteux pour une centrale à gaz ou une centrale nucléaire de stopper sa production plutôt que de vendre à perte.
Occurrences des situations de prix négatif
Deux facteurs sont responsables de ces événements: une production renouvelable à tout prix soutenue et une consommation faible. On retrouve alors principalement les prix négatifs sur des périodes bien précises (source EPEX):
La nuit entre 2h et 7h lors des vacances scolaires et des week-ends, où la demande est relativement faible,
L’après-midi entre 11h et 16h en intersaison et en été, lors des journées ensoleillées, où la production solaire est importante.
Effets dommageables
Deux effets dommageables principaux peuvent être identifiés lors de ces événements de prix négatifs.
Dans un premier temps, les producteurs ne disposant pas ou peu de flexibilités de production et étant exposés aux prix de marchés sont financièrement pénalisés par ces prix. Le parc nucléaire de l’entreprise EDF est particulièrement sujet à ces effets dommageables car : 1. l'arrêt complet des réacteurs pour quelques heures n’est pas possible ; 2. la modulation augmente les coûts opérationnels des centrales nucléaires ; et 3. elle est suspectée de provoquer une usure précoce de certaines pièces.
Dans un second temps, les prix négatifs provoquent l’écrêtement d’une part de la production des sites PV et éoliens. En effet, les sites sans dispositifs de soutien ou qui bénéficient d’un contrat de complément de rémunération (par opposition aux contrats d’obligation d’achat) sont financièrement pénalisés s’ils injectent lors des prix négatifs. L’énergie renouvelable écrêtée à cause des prix négatifs de 2024 est estimée à 1.7 TWh, soit 2.4% de la production PV et éolienne cumulée sur cette même année (source Bilan électrique 2024, RTE).
Ces deux conséquences sont visibles dans les courbes de production PV, éolienne et nucléaire de la semaine du 8 avril 2024. Lors des événements de prix négatifs, on observe une forte modulation de la production nucléaire (exemple du 13 et 14 avril 2024) et des grandes variations de production PV et éolienne associées aux découplages des sites exposés aux prix spots (exemple du 9 et 12 avril 2024).
Quelles évolutions futures?
Les décisions stratégiques actuelles ont une influence sur les occurrences de prix négatifs. Ces décisions remodèlent l’offre et la demande au sein du système électrique français. On peut citer, à titre d'exemple:
L’augmentation de l’offre renouvelable avec un rythme d’installation de +5.5 GW/an de PV et +1.5 GW/an d’éolien prévue dans les textes de la PPE 3 (source : PPE 3, version novembre 2024),
L’augmentation de la flexibilité de la demande via 1. de nouvelles incitations économiques pour accentuer la demande lors de la production PV, notamment via le nouveau positionnement des heures creuses en après-midi de saison basse (source: délibération CRE Turpe 7), et 2. un déploiement de solutions de stockage par batteries (BESS) optimisées à partir des signaux prix des marchés. Le comportement attendu des BESS optimisées sur les prix spots et intrajournaliers se traduit par 1. des positions d’achat lors de prix spots bas et 2. des positions de vente lors des prix spots hauts.
De ces deux influences sur les courbes d’offres et de demandes, sont attendus des effets sur le nombre d’occurrences des heures négatives. On s’attend à ce que l’augmentation de la production renouvelable multiplie les événements de prix négatifs, tandis que l’augmentation de la demande sur les prix faibles aura tendance à diminuer ce nombre d’occurrences.
L’objectif de cet article est de confronter ces intuitions à des réponses quantitatives.
Contributions
Les contributions dans cet article sont les suivantes:
Définition de scénarios traduisant les trajectoires d’évolution potentielles de l’offre et de la demande via l’installation de nouveaux parcs PV et de stockages en France,
Définition d’une méthode permettant d’évaluer le nombre d’occurrences d’heures négatives pour chaque scénario,
Évaluation quantitative et sensibilité du nombre d’occurrences de prix négatifs en France à partir des scénarios définis,
Évaluation du prix spot moyen en France lors des heures solaires et des heures de pointes pour chaque scénario,
Évaluation des évolutions de coûts associés aux obligations d’achats et financement de la production PV pour l'État français.
Démarche
Sur la base de données historiques de 2024, plusieurs scénarios sont définis. À chaque scénario correspond une modification des courbes d’offre et de demande. On identifie par intersection de ces deux courbes le nouveau prix spot associé.
Scénarios
À partir des données 2024, dite année de référence ou scénario 0, on définit plusieurs scénarios représentant des évolutions de dimensionnement des parcs PV et BESS au sein du système électrique français. Ces différents scénarios sont représentatifs des tendances énoncées plus tôt en introduction.
Il est supposé que :
Les sites PV produisent proportionnellement au rayonnement solaire et font croître l’offre sur les heures solaires.
La production supplémentaire est telle que 70 % de la production est sensible à l’écrêtage car proposée à prix nul sur le marché spot, et les 30 % restants sont proposés à tout prix car bénéficiant d’obligation d’achat. Cette répartition diffère de celle du parc historique de 2024, proposé à 30 % à prix nul et 70 % bénéficiant d’obligation d’achat.
Les installations BESS sont constituées de batteries capables de se charger chaque jour pendant 2 heures avec une efficacité de 100 %, puis de se décharger pendant 2 heures avec une efficacité de 85 %.
L’intégralité de la puissance installée supplémentaire + PBESS, est destinée au marché spot.
À l’échelle d’une journée, les BESS optimisées sur le marché spot font accroître la demande lors des prix spots bas et accroître l’offre lors des prix spots hauts.
Méthode
Chaque scénario est testé sur une année. À chaque heure de chaque jour de cette année, sont associées une courbe d’offre et une courbe de demande. À l’intersection de ces deux courbes, est défini le prix spot. Le scénario de référence est décrit par les données historiques 2024. Les scénarios 1 à 23 sont construits à partir de ce scénario de référence.
Dans le cas d’un ajout de puissance PV, la production supplémentaire est ajoutée à la courbe d’offre. Conformément aux hypothèses, 30 % de cette production est proposée sur le marché à prix nul, et 70 % à tout prix. La production supplémentaire totale est le produit de la puissance installée et d’un coefficient de rayonnement horaire mensualisé. Ce coefficient correspond à la puissance moyenne produite pour une heure et un mois donnés en 2024, divisé par 24 GW, la puissance installée en PV cette année-là (source Bilan électrique 2024, RTE).
Dans le cas d’un ajout de puissance installée BESS, la courbe d’offre et la courbe de demande sont modifiées sur des heures spécifiques.
Les courbes de demande sont modifiées jour après jour, de sorte à représenter la demande des BESS supposée positionnée lors des quatre heures les moins chères de chaque journée, ou sur toutes les heures négatives de la journée considérée lorsque leur nombre est supérieur à quatre. Le volume de demande proposé sur ces heures est équivalent à deux heures de soutirage à pleine puissance, divisée par le nombre d'heures concernées. Cette demande est supposée faite à tout prix. Par exemple, + 5 GW de BESS installées font augmenter de 2 x 5 / 4 = 2.5 GWh la demande sur les quatre heures les moins chères d’une journée connaissant au maximum quatre événements de prix négatif en 2024.
Les courbes d’offres sont modifiées jour après jour, de sorte à représenter l’offre des BESS supposée positionnée lors des quatre heures les plus chères de chaque journée. Le volume d’offre proposé sur ces heures est équivalent à deux heures d’injection à pleine puissance divisée par quatre. Cette offre est supposée faite à un prix nul. Par exemple, + 5 GW de BESS installées font augmenter de 2 x 5 / 4 = 2.5 GWh l’offre sur les quatre heures les plus chères.
Une fois les prix spots obtenus pour chaque scénario, plusieurs indicateurs sont calculés:
le nombre d’occurrences de prix négatifs,
le prix moyen pondéré du spot au plus fort des heures solaires et lors des heures de pointe,
une estimation du coût des aides de l’État pour soutenir la production PV.
Limites
Des travaux futurs pourront être réalisés afin d'affiner le modèle grâce à:
la prise en compte des possibilités d’arbitrage des BESS entre les marchés spot et intrajournalier, et les services systèmes,
le choix d’un positionnement et pricing optimal de l’offre et de la demande BESS (impact de marché, mise en concurrence, etc.).
La possibilité d’augmenter C-rate (2h ou 4h) des batteries pour améliorer les éléments
Résultats
Cette section présente différents résultats obtenus pour les 23 scénarios proposés. À des fins d’illustration, une attention particulière est portée sur deux scénarios spécifiques :
Scénario n° 3: ajout de PV (+ 6 GW) sans flexibilité supplémentaire par BESS (+ 0 GW),
Scénario n° 15: ajout de PV (+ 6 GW) avec flexibilité supplémentaire par BESS (+ 4 GW).
Évolution du nombre d’occurrences des prix négatifs
Pour chacun des 23 scénarios proposés à l’étude, les nombres d’occurrences de prix négatifs sont les suivants:
Table 2: Nombre d’occurrences des prix négatifs selon le scénario.
Plusieurs tendances se dégagent de ces résultats:
L’installation de PV, dont 30% de la production supplémentaire est proposée à tout prix, participe grandement à l’augmentation du nombre d'occurrences des prix négatifs. Au sein des scénarios sans ajouts de flexibilité (n° 1 à n°5), cette augmentation se fait à un rythme moyen de + 17 heures de prix négatifs par GW de PV installés. Pour le scénario 3, l’ajout de 6 GW de production se traduit par 1.8 GW de puissance installée proposant une production à tout prix, et 4.2 GW de puissance installée proposant une production à prix nul. On observe une augmentation de + 115 heures de prix négatifs lors des moments de forte production solaire.
L’installation de BESS destinées à une gestion sur le marché spot permet une diminution du nombre d'occurrences des prix négatifs. Au sein des scénarios sans augmentation de PV (n° 6, 12 et 18), cette diminution se fait à un rythme moyen de - 25 heures de prix négatifs par GW de BESS installés.
L’installation conjointe de BESS en parallèle du développement du PV permet de limiter, voire diminuer le nombre d'occurrences des prix négatifs sur le marché spot. Avec + 4 GW de BESS installées (scénarios n° 12 à n° 17), l’augmentation du nombre d'occurrences des prix négatifs se fait à un rythme moyen de + 7 prix négatifs par GW de PV installés, contre + 17 en l'absence d’installation supplémentaire de BESS (scénarios n° 1 à n°5).
Les figures ci-dessous représentent le positionnement et le nombre d’occurrences de prix négatifs par mois et par heures pour les scénarios n°3 et n°15. Ils permettent d’illustrer:
L’intensification des événements de prix négatifs sur les heures solaires dans le scénario n°3, par rapport au scénario de référence : cette intensification se fait principalement entre les mois d’avril et de juin.
La diminution de nombreux événements de prix négatifs sur des heures de jour comme de nuit : incitées par les prix négatifs, les BESS font augmenter la demande, et donc les prix, sur ces heures spécifiques.
Évolution des prix
Outre l’évolution du nombre d’occurrences des prix négatifs, la modification de l’offre et de la demande par l’ajout de PV et de BESS induit une modification de la valeur des prix sur le marché spot. Trois effets notables se distinguent:
L’ajout de PV fait baisser en général les prix spots.
L’ajout de BESS contrebalance cette baisse des prix spots sur les heures solaires.
L’ajout de BESS fait baisser le prix spot lors des pointes de consommation.
La figure ci-dessous illustre ces faits en comparant les prix spots pour le scénario de référence et les scénarios n° 3 et n° 15 pour la journée du 28 avril.
Dans le scénario de référence, le prix moyen pondéré de l’énergie lors des heures négatives est de - 25.7 €/MWh, contre - 65.5 €/MWh pour le scénario n° 3 et - 20.2 €/MWh pour le scénario n° 15. A contrario, le prix moyen pondéré de l’énergie lors des heures avec un prix positif est de 35.3 €/MWh, contre 34.3 €/MWh pour le scénario n° 3 et 25 €/MWh pour le scénario n° 15.
Prix moyen pondéré lors des heures solaires:
À l’échelle d’une année, et pour tous les scénarios, on évalue le prix moyen pondéré de l’énergie échangée au prix spot au plus fort des heures solaires, i.e. entre 12h et 18h.
Table 3: Prix moyen pondéré de l’énergie entre 12h et 17h selon les scénarios, en €/MWh.
Prix moyen pondéré lors des heures de pointes:
À l’échelle d’une année, et pour tous les scénarios, on évalue le prix moyen pondéré de l’énergie échangée au prix spot pendant les heures de pointes, i.e. pour 9h, 10h, 18h, 19h.
Table 4: Prix moyen pondéré de l’énergie lors des heures de pointes selon les scénarios, en €/MWh.
Quel impact sur le coût des aides pour l'État?
Les aides de l'État portées à la production solaire en France, se traduisent, par exemple, par des obligations d’achat contractualisées via EDF OA. Ces aides représentent un coût non négligeable pour les finances publiques. Ce coût est exposé aux prix spot, et toutes variations de prix sur les heures solaires est synonyme soit d’économies, soit de surcoûts.
Dans les hypothèses où:
l’intégralité de la production aidées par l’État représente une dépense analogue à une obligation d’achat au prix 95 €/MWh (valeur intermédiaire entre le tarif AO sol et tarif AO toiture du T4 2024, source Observatoire France Territoire Solaire),
100 % de la production est revendue au prix spot moyen pondéré observée dans la Table 2,
le parc PV français produit 1 TWh / GW / an (moyenne 2024, source Bilan électrique 2024, RTE),
les coûts associés à ces aides se calcule grâce à la formule suivante:
Coût = (95 - prix spot moyen) x production annuelle.
Les valeurs sont rapportées dans la table 5 ci-dessous.
Table 5: Coûts des aides, projetés selon le scénario (en millions d’euros).
Exemple: Dans le cas du scénario n° 15, la production annuelle projetée est issue des parcs historiques de 24 GW, augmentés de 6GW. La production est donc évaluée à 30 TWh sur une année. Le prix spot associée à ce scénario est de 39.6 €/MWh. L’écart entre le prix d’achat et le prix spot est de 55.4 €/MWh, menant à 1660 millions d’euros de coûts.
L’installation de PV sans flexibilité induit une augmentation des coûts des aides de l’ordre de + 110 millions d’euros par GW de PV supplémentaires. Cette augmentation s’explique par une baisse du prix spot (pertes d’opportunité) et d’une augmentation du volume produit. A contrario, l’ajout de flexibilité sans ajout de PV permet de faire diminuer de - 40 millions d’euros par GW de BESS ces coûts.
À noter que le calcul exact des coûts pour l’état des obligations d’achat dépend de la somme des appels d'offres que Eclipse n’a pas souhaité reconstituer à date.
Conclusion
Indéniablement, la pénétration croissante des installations PV sans flexibilité mène à une baisse du prix de l’électricité lors des heures de productions solaires. Les différents scénarios sans flexibilité sont sans équivoque : les prix négatifs sont plus fréquents et ont pour conséquence une baisse du prix spot moyen pondéré sur les heures de production solaire.
Outre une augmentation de l’énergie écrêtée, cette tendance est aussi synonyme d’une future augmentation des coûts pour l’État dans le cadre des aides PV. La situation PV de 2026, approchée par le scénario n°3, représente pour l’État une augmentation des coûts de l’ordre de + 56 %.
Le développement de la flexibilité s'impose alors. Il est proposé dans le cadre de cette étude d’évaluer l’impact sur le marché spot du déploiement de solution de stockage par batterie. Pour l’État, l’augmentation des coûts due à la pénétration PV est limitée à + 41 % dans le scénario n° 15 si la pénétration solaire est accompagnée d’une flexibilité par 4 GW de BESS opérées sur le marché spot.
Sources
Bilan électrique 2024 RTE, volets “Prix - prix négatifs”, “Production - Écrêtements des productions éoliennes et solaires”, “Production - Solaires”.
Données de marché EPEX.
Projet de programmation pluriannuelle de l’énergie n°3, version novembre 2024.
Projet de décision portant sur le Turpe 7, délibération CRE Turpe 7.