Café du marché ☕️ - Juin 2025
Tensions géopolitiques, black-out en Espagne, moratoire avorté sur le solaire et l’éolien, corrosion surprise sur Civaux… Ce mois de juin a été riche en secousses, on fait le point. 📮
🛢️ Gaz : volatilité sur fond de tensions Iran/USA
Le prix du gaz a reculé à 33 €/MWh après un pic à 42 €/MWh, son plus haut niveau des trois derniers mois. Cette envolée a été déclenchée par les tensions géopolitiques au Moyen-Orient, notamment la menace de l’Iran de fermer le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 20 % du LNG mondial. Quelques jours plus tard, l’annonce d’un cessez-le-feu a suffi à calmer les marchés, d’autant que la production norvégienne repartait à la hausse, sur fond d’une demande stable. Le pétrole a suivi la même dynamique, avec un pic à 75 $/bbl avant de redescendre à 65 $/bbl.
☢️ Corrosion : un air de déjà-vu
Mi-juin, EDF a confirmé la détection de microfissures sur le circuit de refroidissement de la centrale de Civaux — un équipement pourtant remplacé il y a à peine deux ans. L’annonce a immédiatement ravivé le spectre de la crise de la corrosion sous contrainte de 2022.
Les prix de l’électricité à terme (Cal+1, +2, +3) ont bondi dans la foulée, avant de refluer lorsque EDF a rassuré sur l'absence de défauts similaires sur les autres réacteurs sensibles. Un programme d’analyse approfondie est toutefois lancé pour comprendre l’origine de cette nouvelle anomalie.
🌪️ Réelle crise politique au sujet de la transition énergétique
Le 19 juin, l’Assemblée nationale a adopté un amendement instaurant un moratoire sur tout nouveau projet éolien et solaire. Ce vote, soutenu par la droite et l’extrême droite, a été vivement dénoncé par le gouvernement, notamment par Marc Ferracci et Agnès Pannier-Runacher, qualifiant ce texte d’"absurde" et "contraire aux objectifs de souveraineté".
Bien que l’amendement ait été rejeté quelques jours plus tard grâce à une mobilisation renforcée des opposants, le signal politique reste fort, à l’heure où les tensions sur la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) s’intensifient.
Cerise sur le gâteau : la CRE a annoncé dans la foulée une baisse des tarifs de rachat solaire au 1er juillet :
Projets 9–100 kW : de 76 à 73 €/MWh (–4 %)
Projets 100–500 kW : de 95 à 89 €/MWh (–7 %)
👉Climat politique hostile, rentabilité en berne : la transition énergétique entre dans une zone de turbulences.
☀️ Un été chaud et sec qui s’annonce
La France connait depuis le 19 juin une vague de chaleur importante qui, pour le dernier week-end de juin, remonte particulièrement dans la vallée du Rhône.
Ces fortes températures ont de nombreuses conséquences sur le système électrique français. Parmi elles, il y a :
La sensibilité thermique estivale de la consommation électrique en France, évaluée en 2024 à 490 MW par degrés, due à la consommation accrue des moyens de production de froid. (Sources des données : Entsoe-e & ODRÉ).
La réduction de production de certaines centrales nucléaires pour des raisons écologiques. En effet, les vagues de chaleur impactent aussi les cours d’eau utilisés pour refroidir les réacteurs. Afin de limiter leur surchauffe et protéger la faune et la flore, les rejets d’eau chaudes par les centrales sont par conséquent limités. Lors de la dernière semaine de juin, EDF a annoncé réduire la production de certaines centrales de la vallée du Rhône (exemple du REMIT ci-dessous sur Bugey 3).
Cette tendance semble perdurer pour le reste de l’été, avec des prévisions de température bien au-dessus des normales en particulier en Europe du Sud et de l’Est.
💡 Analyse d’un fait marquant : Black-out du 28 avril, un rapport espagnol pointe des causes systémiques
Dans notre Café du marché d’avril, nous revenions sur le black-out qui a secoué le système électrique ibérique. Le gouvernement espagnol publie ce mois-ci son premier rapport d’analyse de l’événement, qui confirme l’ampleur et la complexité de la crise.
👉 Pas de cause unique, mais une combinaison de facteurs systémiques ayant déstabilisé le réseau :
1. Situation avant l’incident : dans la nuit du 27 au 28 avril le système électrique ibérique fonctionnait normalement. Mais à partir de 9h, on observe des premières variabilités de tensions sans conséquences majeures.
2. Premiers signes de déséquilibre (12h00 – 12h30): instabilités électriques majeures. On relève plusieurs oscillations critiques de fréquence et de tension. A partir de 12h11, modification de fonctionnement de la liason HVDC Espagne-France pour tenter de stabiliser le réseau. Seconde Oscillation entre 12h19 et 12h22 atténuée grâce à des mesures correctives.
Après ces événements les tensions restent dans la plage normale (390-420 kV)
3. Déclenchement de l’incident (12h32 – 12h34): coupures en cascade liées à des surtensions.
Dès 12h32, des tensions supérieures à 430 kV entraînent l’arrêt automatique de plusieurs unités de production qui se déconnectent du réseau par mesure de protection. Cette perte de génération provoque une chute de fréquence, enclenchant une réaction en chaîne incontrôlée (déroulé exact en annexe).
📉 Graphique ci-dessous : évolution de la tension de 12:00 à 12:30 CEST dans les principales sous-stations 400 kV d’Espagne et du Portugal (ENTSO-E).
Le rapport final est attendu pour octobre 2025 et plusieurs questions clés restent en suspens notamment sur les premières centrales qui se sont déconnectées. Etait-ce un incident ou une protection automatique trop sensible ?
🔋 Quel rôle pour les batteries dans ce type de crise ?
Les batteries peuvent devenir un pilier essentiel de la stabilité du réseau grâce à leur participation aux services système (SSY), en particulier :
SSY-Fréquence (MW) : modulation ultra-rapide de la puissance active injectée ou absorbée pour maintenir l’équilibre instantané entre production et consommation.
SSY-Tension (MVar) : régulation de la puissance réactive pour lisser les surtensions et sous-tensions locales, notamment sur les nœuds critiques du réseau.
Ces services deviennent de plus en plus stratégiques dans un système électrique dominé par des sources de production décentralisées et volatiles.
Annexe - Déroulé préçis de l'incident
12:32:57 – 12:33:17 :
Trois déclenchements de groupes de production en Espagne (zones de Granada, Badajoz, Séville).
Perte estimée : 2 200 MW de puissance de production.
Conséquence : élévation de la tension en Espagne et Portugal, chute de la fréquence.
12:33:18 – 12:33:21 :
Forte hausse de la tension dans le sud de l’Espagne et au Portugal.
Déclenchement en cascade d’autres groupes de production.
12:33:19 :
Début de la perte de synchronisme des réseaux espagnol et portugais avec le reste de l’Europe continentale.
12:33:19 – 12:33:22 :
Activation des plans automatiques de délestage (System Defence Plans) en Espagne et au Portugal, insuffisants pour éviter l’effondrement.
12:33:21 :
Déconnexion automatique des lignes AC France–Espagne par protections contre la perte de synchronisme.
12:33:24 :
Effondrement complet des paramètres électriques ibériques.
Arrêt des échanges sur les liaisons HVDC France–Espagne.
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